Label bas-carbone en grandes cultures : tout reste à construire

Un article d’Agra Presse, le média de veille de l’économie et des politiques agricoles

Presse

Sep 2021

Après l’élevage et l’arboriculture, le ministère de la Transition écologique a validé, fin août, une méthode de production Bas carbone pour les grandes cultures, sur laquelle les instituts techniques et Agrosolutions (InVivo) planchaient depuis 18 mois. Cette approbation pose un jalon essentiel pour le marché français du carbone agricole, mais marque surtout le lancement d’un chantier d’envergure pour les start-up, les associations spécialisées, les chambres, et les coopératives. Des acteurs qui devront convaincre les agriculteurs de s’engager, et les aider à monter leurs projets, tout en trouvant des débouchés pour les crédits générés.

Céréales, oléoprotéagineux, cultures industrielles, semences : « Tout ce qui est en rotation dans une parcelle est concerné par la méthode », résume Baptiste Soenen, chef du service Agronomie, économie, environnement au sein de l’institut technique des grandes cultures, Arvalis, et premier auteur de la méthode bas-carbone en grandes cultures. Une méthode très attendue par la profession, que le ministère de la Transition écologique a officiellement validée fin aout, après dix-huit mois de travail mené par Arvalis aux côtés de l’ITB, d’Agrosolutions (In Vivo), et de Terres Innovia. Et le travail de ces techniciens devrait peu ou prou s’arrêter là. Alors qu’en élevage bovin, l’Idele (institut technique) avait suivi la méthode depuis la rédaction du cadre technique jusqu’à la commercialisation des crédits, les instituts des grandes cultures joueront un rôle plus limité dans le déploiement du label bas-carbone. « Nous avons créé la méthode, nous avons facilité le développement des outils de diagnostic, mais nous n’aurons aucun rôle sur la façon dont le marché du carbone va se monter », assure Baptiste Soenen. Il appartient désormais aux start-up, aux associations spécialisées, aux chambres, mais également aux coopératives de convaincre les agriculteurs, de créer les outils nécessaires pour évaluer leurs projets, et d’identifier des entreprises ou collectivités susceptibles d’acheter les crédits générés. Un travail conséquent que la plupart espèrent mener d’ici la fin de l’année 2021, pour vendre les premiers crédits en 2022. « On est en ordre de bataille pour capter ce marché s’il se confirme, mais la balle est dans le camp des acheteurs de crédits carbone, souligne Philippe Heusèle, secrétaire général de l’APGB. Plus le carbone prendra de la valeur dans les années à venir, plus il aura d’effet dans les exploitations. »

Trouver l’équilibre entre émissions et stockage

La méthode des instituts techniques liste les données nécessaires pour décrire précisément les rotations et pratiques des exploitations, tout en détaillant les équations permettant d’établir un bilan carbone initial. « Ensuite, le porteur de projet se projette sur cinq ans, pour choisir ses leviers techniques. Il peut s’agir de leviers d’optimisation, comme un changement de forme d’engrais, mais aussi de leviers plus complexes, avec une reconception du système de culture, comme l’introduction de légumineuses dans la rotation », précise Baptiste Soenen. Inspirée de l’analyse de cycle de vie, la méthode prend en compte non seulement les émissions de gaz à effet de serre, mais également les variations de stock de carbone dans les sols, ainsi que le lien entre ces compartiments. Car, comme le rappelle Morgane Hénaff, cheffe de projet Agriculture, Climat, Territoires chez Agrosolutions, et co-auteure de la méthode, « il y a des effets antagonistes assez forts entre la partie réduction de gaz à effets de serre et le stockage ». Le stockage de carbone, détaille-t-elle, est directement lié à la restitution de biomasse au sol, qui dépend des rendements, et donc de la fertilisation – elle-même source d’émission. Si les systèmes à bas rendement type blé dur-tournesol n’auront aucune difficulté à conserver un stockage similaire tout en réduisant les apports d’engrais, le défi peut s’avérer plus complexe pour des systèmes colza-blé-orge dans les plaines céréalières. « Dans tous les cas on arrive à trouver un compromis, mais il est plus ou moins facile à atteindre », reconnaît Baptiste Soenen.

Des gains de 6 à 45€ par hectare et par an

Du côté des émissions, les leviers à actionner concernent principalement la consommation d’énergie, avec la diminution du travail du sol pour économiser le carburant, et la réduction des apports et pertes d’azote, grâce aux outils d’aide à la décision ou l’introduction de légumineuses. Et en matière de stockage, comme l’avait déjà souligné l’étude 4p1000 de l’Inrae, « il y a un vrai levier à aller chercher du côté des cultures intermédiaires dans la majorité des exploitations, en choisissant mieux les dates de semis et les espèces, pour assurer une plus grande production de biomasse », résume Morgane Hénaff de Agrosolutions. Arvalis teste actuellement l’effet de ces leviers sur des fermes virtuelles, et devrait prochainement publier une étude sur les économies de carbone possibles en fonction des systèmes de production. D’après les premiers résultats, « la moyenne pourrait être au-dessous d’une tonne de crédit par hectare et par an », avance Baptiste Soenen. Les agriculteurs pourraient au total espérer générer aux alentours de 0,6 t de carbone par ha et par an (tC/ha/an), avec une variabilité allant de 0,2 à 0,3 tC/ha/an pour les projets les plus simples, et jusqu’à 1,5 tC/ha/an pour les plus ambitieux. Soit des gains allant de 6 à 45 € par ha et par an en considérant la rémunération de 30 €/t actuellement proposée par France Carbone Agri. Comme le prévoit le cadre ministériel du label, les projets devront également montrer patte blanche au-delà de leurs seuls résultats en matière de climat. La méthode approuvée impose notamment aux agriculteurs de prouver que les leviers choisis n’augmentent pas la consommation d’eau, d’énergie ou de pesticides. De manière optionnelle, les producteurs pourront également évaluer le pourcentage de cultures favorables aux insectes, la taille des plus grandes parcelles, ou même le potentiel nourricier des cultures semées ou leur intérêt en matière de lutte contre la déforestation. Autant de « cobénéfices », qui « permettront de négocier le prix du crédit avec l’acheteur », espère Baptiste Soenen.

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